Paris, 28 mars 2023 #Retraites — Photographier une manifestation quelconque obéit à bien des impératifs ou des motivations: caractère professionnel pour un photojournaliste; besoin de couvrir l’évènement pour une militante ou un militant impliqué dans le sujet en cause; conservation d’un souvenir pour les participants.
Par temps maussade, c’est moins évident qu’aux beaux jours comme ce fut le cas là. De retraites il était question, pour la dixième fois depuis le 19 janvier à l’appel de l’intersyndicale nationale. Mais le mauvais temps, et moins encore un temps maussade n’était pas un obstacle pour un militant photographe!
(Avis aux âmes sensibles à 1600 ASA et plus : ceci est bel et bien un reportage engagé.)
Une manifestation (mettons en dehors du cadre les auteurs de violences), ce sont de rituels bien ancrés dans ce répertoire d’action, à commencer par la banderole.
Mais elle implique aussi aujourd’hui des ballons et des drapeaux, souvent des orchestres (de type pop ou jazz) ou des batucadas (mais rien de tout ça aujourd’hui sous mon objectif, contrairement aux manifestations précédentes), des véhicules sono voire des animations.
On y voit bien sûr des gens déterminés et d’autres engagés dans des discussions animées, mais aussi.
On en voit qui cheminent ensemble tout en conversant. Cela se ressent aussi sur les lignes de tête. La vie, quoi !
On y voit des groupes, de deux personnes, parfois plus. Le défilé syndical, est un lieu de sociabilités qui s’entrecroisent. On y évoque bien sûr le sujet qui cause la mobilisation du jour, mais aussi d’autres sujets en cours, voire des thèmes sans rapports comme les résultats sportifs. La vie comme elle vient, toujours, même si personne ne perd de vue (et d’ouïe) la question à l’origine de la colère qui se… manifeste.

Au fil du défilé, on voit aussi passer des pancartes.
Colériques…

… assez souvent humoristiques…

… et même poétique !
Mais, le défilé, ce sont surtout des gens qui ne se défilent pas, justement. Au long d’un parcours de plusieurs heures et qui commencent par de longs piétinements, les conversations varient sans que jamais les acteurs n’oublient pourquoi ils sont là. Responsables, parfois anciens responsables, militants intermédiaires ou militants de bas, mais surtout ces innombrables anonymes qui ont franchi le pas (ô combien) pour témoigner de leur opposition au projet contesté.
Des gens, tout simplement. Des gens que je connais ou que je ne connais pas, avec souvent des complicités anonymes, et dans certains cas des complicités personnelles, photographe comme il y a des sociologues en observation participative. À la dixième manifestation, on repère un certain nombre d’habitués (je ne parle pas des militants connus) et, à force, l’objectif est oublié derrière un visage plus ou moins identifié. Des gens donc, dont on a tiré le portrait malgré, comme je le disais précédemment, un temps maussade chargeant le ciel d’une grisaille écrasant volontiers toute nuance.
Des gens… mais on nous permettra d’insister un peu plus sur les femmes, premières victimes de la réforme. Et j’ai notamment une pensée pour celles des premières, secondes ou troisièmes lignes du temps du Covid, celles-là même qu’angoisse les perspectives d’un allongement de la durée de carrière exigée et les risques de basculer, entretemps, dans la précarité.


On y voit souvent, très souvent, l’expression souriante du plaisir d’être ensemble, quelles que soient les difficultés de la lutte en cours.

Mais il est toujours un moment où le poids des enjeux, les préoccupations du moment sont visibles.

Dans les défilés, quand on en a l’habitude, on croise et recroise de vieux amis. Le photographe les photographie non moins régulièrement: ici mon ami Serge Vincent, cueilli ici place de la Bastille au moment où le cortège se constituait:

Mais ce que l’on ne voit pas ici, c’est l’appareil photo avec lequel il m’a pris en retour!

Précisions photographiques. — J’ai utilisé deux boîtiers identiques Canon EOS M50 mk II, l’un monté avec un téléobjectif 55mm-200mm, l’autre avec une focale fixe de 22 mm. Les photos présentées ici ont été retraitées en niveaux de gris.
Précisions sur l’approche. — J’aurais pu illustrer le même texte avec n’importe quel autre cortège syndical dans ce défilé unitaire. Certes, tous ont leur couleur, mais dans des manifestations aussi massives, les gens restent les gens et j’ai croisé, au fil des manifestations, bien des regards identiques. J’ai fait le choix de couvrir essentiellement l’organisation syndicale à laquelle j’appartiens toujours et dans laquelle j’ai été un militant impliqué: le traitement photographique a été le même (j’ai d’ailleurs tiré quelques portraits d’amis ou de relations croisées sous d’autres bannières… mais pas ce jour-là).
Pourquoi ne pas avoir publié précédemment sur ce sujet? J’avais pensé faire un tri ultérieur. Je le ferais sans doute, mais, dans l’immédiat, je souhaitais publier une trace «en situation». J’ai donc décidé d’utiliser mon dernier lot de photographies.